Pourquoi se laisse-t-on manipuler ?
A vouloir scinder le monde en 2 catégories, les gentils d’un côté et les méchants de l’autre, nous prenons le risque de nuire aux relations que nous entretenons avec autrui. Or, pour exister, nous avons besoin d’entretenir des relations. Et c’est parce qu’il est vital pour nous d’avoir des relations avec les autres que cela comporte de forts enjeux et qu’il est nécessaire de comprendre les mécanismes de la manipulation.
Pour qu’il y ait un manipulateur, il faut un manipulé.
Nous sommes tous à la fois manipulateurs et manipulés. La majorité des manipulations ordinaires n’a pas de grandes conséquences. Si je me montre aimable avec ma gardienne d’immeuble pour entrer dans ses bonnes grâce, ou si je m’habille pour plaire à mon homme, cela ne fait pas de moi un être pervers et ma gardienne, de même que mon homme, se seront pas dupes de mon manège (mon homme pourrait même apprécier… :-)). Le danger apparaît lorsque ces manœuvres deviennent systématiques et se transforment en violences psychologiques. Sans aller chercher le pervers narcissique, il suffit d’observer autour de nous : conjoint, famille, collègues peuvent nous pourrir la vie au quotidien. Mais sommes-nous irréprochables ? Soyons clairs, dès lors que nous entrons dans la moquerie, la culpabilisation, l’interprétation, la ridiculisation ou le mensonge, nous entrons dans la manipulation. Et lorsque nous cédons à la provocation, nous acceptons le risque d’être manipulés.
Susan Forward, psychothérapeute américaine, auteur de ‘’Le Chantage Affectif’’, apparente certains manipulateurs à des ‘’maîtres chanteurs’’ qu’elle distingue en 4 types : le bourreau, qui menace de vous punir (« Si tu me quittes, tu ne verras plus les enfants ») ; le flagellant, qui retourne la menace contre lui-même (« Si tu me quittes, je me suicide ») ; le martyr ou l’éternelle victime, qui brandit sa souffrance (« Comment peux-tu faire cela à ta mère ? ») et le marchand de faux espoirs, qui vous fait miroiter un avenir prometteur si vous répondez à sa requête (« Si tu acceptes de monter cette affaire avec moi, tu gagneras énormément d’argent »).
Et pour peu que la formule face mouche, trouvant une résonnance dans notre vécu, nous acceptons de nous soumettre à la demande de l’autre.
Assoiffées d’amour et d’attention, nous voulons nous montrer sous notre meilleur jour et prouver que nous sommes dignes de l’intérêt que nous porte notre entourage. Pour ce faire, nous adoptons des comportements qui répondent aux attentes de l’autre, mais qui ne reflètent pas toujours qui nous sommes en réalité.
Se libérer de la culpabilité
Sans même nous en rendre compte, nous entrons dans le jeu de l’autre parce qu’il sera moins douloureux d’accepter un compromis que d’assumer pleinement une part de nous que nous voudrions cacher ou de revivre un événement déplaisant.
Capucine, 32 ans, fille unique culpabilisait de n’être pas la fille parfaite dont ‘’rêvait’’ sa mère. « Je me suis interdit de réussir parce que je voulais que ma mère m’aime » nous raconte-elle. « Quand mon père est parti, la laissant seule avec une gamine de 6 ans, elle a reporté sa colère et sa frustration sur tout le monde et sur moi en particulier parce que je lui rappelais mon père et son mariage raté. Petite, j’aurais fait n’importe quoi pour qu’elle me parle, me prenne dans ses bras, me trouve jolie… pour un regard ou un mot d’encouragement. Ca n’est jamais arrivé. Tout ce que je faisais était ‘’nul’’. Plus tard, ça a été pareil pour mon travail, ma façon de m’habiller, de parler, mes amis… tout… Si je me révoltais, elle menaçait de se laisser mourir, m’accusait d’être méchante, de ne pas l’aimer. On s’engueulait, je rentrais chez moi et je me sentais anéantie, égoïste, coupable… Et puis j’ai pris conscience que quoi que je fasse, ce serait toujours ‘’nul’’. Pour que le départ de mon père et ses échecs ne soient pas de ‘’sa faute’’, pour qu’elle puisse s’aimer un peu, il fallait que les autres soient comme elle… Alors je lui ai dit que je l’aimais, mais je ne voulais plus de ce type de relation. Que je ne répondrai plus à ses critiques et à ses tentatives d’humiliation. J’ai arrêté de jouer… Ca n’a pas été facile. J’ai vraiment pris sur moi, mais je l’ai fait ! Et même si nos relations ne sont pas géniales, au moins elles se sont apaisées et je vis ma vie sans tenir compte de ce qu’elle dit ou pense. Je m’autorise à être moi-même parce que j’ai enfin compris pourquoi je n’allais pas au bout de ce que j’entreprenais. Inconsciemment, je m’interdisais d’avoir ce que elle n’avait pas pu avoir… ».
Quand Capucine a compris qu’elle se laissait manipuler, elle a cessé de culpabiliser et a pu dire paisiblement ce qu’elle avait à dire et elle a pu reprendre sa vie en main.
Des jeux… pas si drôles
La plupart du temps, au lieu d’établir une véritable communication, de dire ce que nous ressentons et de baser nos propos sur des faits concrets, nous préférons les enrober dans ce qui nous paraît acceptable pour obtenir de l’autre de l’amour, de la reconnaissance, de l’attention, de l’aide…
Au lieu de dire « Je me sens seule et j’ai besoin d’attention. J’aimerais que l’on passe cette soirée ensemble », nous disons « Tu n’es jamais là ! Tu te fiches de ce que je suis ! ». Nous attaquons ou nous plaignons pour cacher notre vulnérabilité au lieu de dire nos besoins.
Selon le psychologue Stephen Karpman, nous jouons tour à tour 3 rôles principaux : la victime, le sauveur et le persécuteur. Or non seulement ces jeux finissent par nous épuiser, mais de plus ils sont le terrain préféré des manipulateurs !
Généralement, il (ou elle) commence par le rôle de sauveur. Il (ou elle) sera prévenant.e, attentionné.e, et fera de belles promesses. Puis il (ou elle) deviendra victime pour vous laisser le rôle du sauveur que vous jouerez à merveille (notre côté Saint Bernard…). Il (ou elle) deviendra ensuite votre persécuteur, à moins que vous n’endossiez vous-même ce rôle… Dans un cas comme dans l’autre, il y a toujours un perdant, voire deux…
Et n’oublions pas que nous aussi, nous jouons à ces jeux… Lorsque nous voulons « aider » l’autre sans qu’il n’ait rien demandé, parce que nous estimons qu’il a « besoin » d’aide. Ou lorsque nous nous comportons en victime : « je n’ai pas pu le faire parce que… » , « si j’avais eu des parents différents… », « si je vivais ailleurs… » sont autant d’arguments qui nous coupent de la responsabilité de nos vies. Quant aux innombrables « oui mais…« , ils ne font que renforcer des croyances qui rendent toutes initiatives de changement impossible.
Ces jeux pyschologiques ont été listé dans le livre « des Jeux et des Hommes » d’Eric Bernes, le père de l’analyse transactionnelle.
Ma vulnérabilité ? Une force ! Privilégier les relations authentiques
On le voit, pour ne plus se laisser manipuler et ne plus manipuler l’autre, il est nécessaire d’établir un nouveau type d’interaction et donc de se connaître soi-même. La vraie force, c’est d’accepter sa vulnérabilité et de renoncer à la fois à la toute puissance et à avoir raison à tout prix. Apprendre à s’aimer soi et s’accepter tel que l’on est.
Pour Jacques Salomé, psychosociologue « Ce n’est pas être faible ou fragile que de montrer sa vulnérabilité. C’est accepter le mouvement du laisser-aller, du lâcher-prise en soi. Le manque d’amour de soi a des conséquences directes sur nos relations avec autrui. Il se traduit par un manque de confiance, des doutes et de la méfiance, qui vont générer ou entretenir soit des relations à base d’appropriation et de possessivité, soit des relations de type persécuté-persécutant. Si je ne m’aime pas, je ne pourrai pas aimer, puisque je serai dans le besoin et l’exigence d’être aimé. » Il ajoute : « Je ne peux changer autrui, mais je peux toujours changer ma relation à lui. De même, je ne peux changer mon passé, mais je peux changer ma relation à mon passé et mon regard sur lui. Car si j’ai peu de prise ou d’influence sur ce qu’on a fait ou pas fait de moi, je suis bien responsable de ce que je fais avec ce qu’on a fait ou pas fait de moi »
Il s’agit de se libérer de nos peurs dont une des plus importantes est sans doute la peur du jugement et du regard de l’autre.
C’est la peur d’être manipulé qui nous rend méfiant et nous pousse à porter un masque. Oser être soi revient à privilégier les relations authentiques. Oser la vulnérabilité, c’est accepter la vulnérabilité de l’autre. S’aimer soi, c’est être en mesure d’aimer l’autre pour ce qu’il est.
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